-
ZOOM sur Dinaw MENGESTU, écrivain
Entre deux mondes
INTERVIEW DE DINAW MENGESTU
Premier roman, et débuts remarqués outre-Atlantique pour Dinaw Mengestu. Le jeune écrivain américain né en Ethiopie débarque en France avec Les Belles Choses que porte le ciel, un roman inspiré de son expérience dexilé politique et de drames familiaux.
Avec Les Belles Choses que porte le ciel, vous signez lune des premières fictions sur la diaspora africaine. Selon vous, pourquoi est-ce un sujet si rare dans la littérature américaine ?
Je crois que lidée dune diaspora africaine est encore très nouvelle, surtout aux Etats-Unis. Mes parents ont été parmi les premiers Ethiopiens à devoir quitter leur pays. Ca nétait pas un phénomène courant, aussi il fallait quun peu de temps passe. La génération de mes parents, ou la génération précédente, est encore trop proche de ce qui lui est arrivé en Afrique pour en parler ou écrire sur sa vie en Amérique. Aujourdhui, les jeunes écrivains peuvent aborder ce sujet dans la mesure où ils connaissent la culture américaine de lintérieur. Je peux parler de ce qui est arrivé à mes parents parce que jai plus de recul, plus de perspective.
Commandez Les Belles Choses que porte le ciel sur FNAC.COM
Vous étiez très jeune quand votre famille a émigré, comment vous êtes-vous approprié lhistoire de vos parents ?
Au final, quelle est la part de fiction et la part de réalité dans le roman ?
Pour lessentiel, il sagit de fiction. Le père du narrateur est arrêté par des soldats, enlevé, avant de mourir sans que lon sache comment. Je savais quil était arrivé une histoire semblable à mon oncle, mais je nen connaissais pas les détails. Cest là que commence la fiction. Je voulais essayer de montrer ce qui avait pu arriver dans ces circonstances. Alors jai commencé à dépeindre la scène de lenlèvement, comme jimaginais quelle sétait déroulée.
La vie de Sepha, le personnage principal en Amérique, sinspire-t-elle plus de votre expérience ou de celle de vos parents ?
Je crois que les émotions qui le traversent quand il marche dans la ville sont plutôt les miennes. Bien sûr, je ne peux prétendre avoir le même genre de vie parce quil est plus vieux que moi, quil travaille dans une épicerie, quil est pauvre. Mais les sentiments de Sepha sur le monde sont proches des miens. Je peux également imaginer ce quil ressent parce quil fait partie de moi. Il est très difficile de séparer ce que je suis de ce quil est...
Lire la critique du livre Les Belles Choses que porte le ciel de Dinaw Mengestu
Votre roman traite également des relations interraciales. Ce sujet est-il encore tabou aux Etats-Unis aujourdhui ?
Sepha vit dans une banlieue où les maisons ont été restaurées, principalement pour une population blanche de classe moyenne. Cette question économique semble incarner les inégalités aux Etats-Unis...
Je crois que cela va devenir le coeur du problème. Cest la prochaine grande question qui devra être débattue par les Américains. Tout le monde devrait avoir les mêmes opportunités financières, les mêmes droits à léducation, mais les inégalités économiques se creusent à mesure que le pays senrichit. Il faut rééquilibrer la société. Vous ne devenez pas riche par accident ou parce que vous êtes le plus doué. Cest la structure même de léconomie du pays qui favorise certains plus que dautres. Si vous venez dune classe favorisée vous y resterez, sinon, il est très difficile de sélever.
Selon vous, quelle est la différence entre limmigration aux Etats-Unis aujourdhui et celle du passé ?
La grande différence, cest quaujourdhui, la plupart des immigrants viennent de pays en voie de développement ou du Tiers-monde, dAfrique, dAsie ou dailleurs. La visibilité de ces populations est plus importante, en terme daccent, de couleur de peau, de religion. Leurs cultures sont plus difficilement assimilables dans la société américaine. Avant, passée une génération, vous deveniez américain. Maintenant vous pouvez être de troisième génération et ne pas vous sentir américain pour autant. Je suis né en Ethiopie mais jai été élevé aux Etats-Unis. Pourtant je nai pas le sentiment que cest mon pays comme cela peut être le cas pour un immigrant originaire dAngleterre, par exemple.
Vous faites référence à Tocqueville. Croyez-vous que sa vision de lAmérique soit encore réaliste aujourdhui ?
On croise également dans le roman des auteurs comme James Joyce. Est-ce que la littérature de lexil est une source dinspiration pour vous ?
Je crois que la littérature est toujours en conversation avec elle-même. En tant quécrivain, vous écrivez à dautres auteurs, à dautres livres, autant que vous écrivez pour des lecteurs. Il est très important décrire en pensant à dautres romans car un dialogue sinstalle entre les générations et les siècles, avec V.S. Naipaul, Joyce, Saul Bellow... Et bien sûr, le personnage de mon roman se tourne vers ces ouvrages de lexil parce quils lui apportent du réconfort. Cest également pour cela que je les lis, parce quils maident à comprendre mon expérience et celle de mes personnages.
Vous évoquez les dictatures et les régimes politiques corrompus en Afrique. Quel est votre sentiment sur la situation de ce continent, sur le Darfour notamment ?
A la fin du roman, vous écrivez : Un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul. Comment expliquez-vous ce sentiment ?
Le personnage du roman ne sait pas à quelle patrie il appartient. Il ne sait pas sil doit aller en Ethiopie, parce quil ne pourra jamais retrouver ce quil a perdu. Son père est mort, et il ressent une forme de honte dêtre parti en plus dun sentiment disolement. Dun autre côté, il ne peut accepter sa vie aux Etats-Unis, il ne peut intégrer ce pays. A la fin du roman, il réalise quil vit suspendu entre deux mondes, toujours seul dans son incertitude, mais il ne peut se résoudre à faire le choix dune vie plutôt quune autre.
Propos recueillis par Thomas Flamerion et Monia Zergane pour Evene.fr - Août 2007
-
Commentaires